Comment structurer votre stratégie marche ?

Par Marguerite Grandjeanle November 25, 2025 - contribuer

Lors de la 3e édition des "Rencontres nationales de la marche en ville" organisées à Rennes en septembre 2025 par le collectif "Place aux piétons", l'ADEME a organisé, en partenariat avec le Cerema, le Réseau Vélo et Marche, Rue de l'avenir et la Fabrique des Mobilités, une session de rencontre entre les collectivités intéressées par le sujet de la marche en ville, notamment (mais pas que) les lauréats de l'appel à projets "ID-marche".
Deux ateliers de travail collectif ont été animés sur des sujets jugés clés pour le développement de la marche : les aménagements temporaires de l'espace public, qui se développent depuis le Covid, et les schémas piétons, documents stratégiques visant à favoriser la marche sur un territoire. A travers des questions structurantes travaillées collectivement via des formats d'animation ludiques, les participants ont pu se rencontrer et faire part de leurs témoignages.
L'atelier a fait émerger des points d'attention concrets à garder en tête sur ces deux sujets qui nous ont parus suffisamment judicieux pour les restituer. Nous les mettons en gras ci-dessous pour faciliter la lecture.

Atelier 1 - Aménagements temporaires

Introduction

Cédric Boussuge, du Cerema, a introduit le sujet en évoquant la distinction entre aménagements temporaires et aménagements transitoires.
Derrière ces termes, se cachent des aménagements et interventions assez diverses.

  • Par aménagement temporaire, on peut entendre un test permettant un retour en arrière. Par exemple, lors de la crise Covid, de nombreuses villes ont testé des aménagements pour donner plus de place aux cyclistes mais aussi aux piétons : rues piétonnisées le temps d'un été, trottoirs élargis, nouvelles zones de rencontres, actions aux abords des écoles... De nombreux exemples ont été repérés dans des grandes villes, mais aussi des petites villes touristiques.1
  • Côté aménagement transitoire, on peut considérer qu'il préfigure une transformation urbaine. Plus conséquents, ces projets sont souvent en lien avec des projets de requalification d'un espace public, d'une rue, ou d'un quartier. C'est une manière de tester les fonctions possibles, de mobiliser des habitants et de les interroger sur leurs envies. Parfois c'est donner une idée des évolutions à venir: quelques marquages ludiques pour montrer que l'espace va devenir un terrain de jeux, des bancs pour préfigurer une promenade.2
  • A tous ces aménagements, s'ajoutent des interventions plus éphémères (par exemple lors d'un festival, d'une "rue aux enfants" ou d'un marché), saisonnières (une ville qui déplace des bancs et des plantes en pots en fonction de la saison, ou simplement des terrasses estivales installées sur des places de stationnement) ou tactiques (au sens américain du terme, où des collectifs de citoyens se mobilisent pour changer une rue).3
    A noter que plusieurs réflexions ont fait l'objet de webinaires ID-Marche, disponibles en replay sur la communauté Mobilités piétonnes (Cerema, Réseau Vélo et Marche, Ministère des Transports, ADEME), avec par exemple des focus sur les questions réglementaires ou sur les marquages d'animations, et de nombreux témoignages.

L'association Rue de l'avenir a rappelé à cette occasion l'importance du contexte historique dans le développement des aménagements temporaires. Ceux-ci sont en grande partie nés pendant la période Covid, où élus, maires, associations ont poussé les directions des services à expérimenter des aménagements différents. C'est notamment grâce au travail des associations qu'a pu émerger une culture de l'expérimentation, là où avant, ce type d'aménagements existait mais était nettement plus marginal. Cela s'est vu d'abord côté vélos, puis côté piétons, grâce notamment au travail de Rue de l'avenir pour pousser la publication par le Cerema de 2 guides "express"4 sur les aménagements provisoires, le "Guide cycliste" puis tout de suite après le Guide piétons. Ces aménagements temporaires et transitoires sont peu à peu devenus une méthode d'aménagement plus courante dans les collectivités.

Quelles utilités ?

Lister en quelques mots à quoi peuvent servir les aménagements temporaires pour la collectivité, pour les usagers, les commerçants…

L'expérimentation permet d'abord de faire bouger les choses : faire parler de la marche, la mettre à l'agenda.
Mais l'expérimentation permet aussi de favoriser l'acceptation, notamment via la concertation des habitants, qui est un temps de découverte et d'appropriation du projet.
Enfin, cela permet de ludifier, c'est-à-dire de rendre la concertation et l'aménagement du lieu plus ludique, concret, joyeux.
Cela donne une qualité à un lieu, une qualité différente.

Place aux piétons Loire sud ajoute une autre utilité essentielle : redonner du pouvoir à l'imaginaire. On a du mal à concevoir notre espace public en dehors de l'occupation unique de la voiture. Mais dans une rue scolaire, les parents ont pu pour la première fois lâcher la main de leur enfant. Lors de la session "ville sans voiture" sur les berges du Rhône, les usagers ont dit entendre de nouveau le chant des oiseaux.
Ce sont ces symboles que des aménagements temporaires permettent de toucher du doigt. Il faut savoir les écouter dans les retours des usagers.

Thierry du Crest, ex-coordonnateur interministériel à la marche et au vélo (Ministère des Transports), rappelle qu'il ne s'agit pas d'ailleurs d'opposer les modes, mais bien plutôt de dessiner une cohabitation répondant aux usages de chacun.

Quelles conditions ?

Quelles sont les conditions impératives pour qu'un aménagement temporaire permette d’obtenir des résultats ?

C'est la pédagogie et la concertation qui ont été retenues comme conditions clés de la réussite d'un aménagement temporaire. Cela ne pourrait marcher sans ces conditions, car il s'agit de d'abord et avant tout revenir aux besoins des usagers.

Pour Dijon Métropole, il est essentiel d'arriver à donner à voir les perspectives : Qu'est-ce qui pourra changer in fine ? Pour le vélo, c'est plus facile (ex. Coronapistes). Pour le piéton, comment faire entrevoir un changement réel dans la qualité de marche, alors qu'on n'a pas encore mis d'ombre, pas installé tous les bancs, les aires de jeux... ?
De plus la projection doit fonctionner pour des types de publics très différents : piétons, mais aussi commerçants, enfants.

Des dessins peuvent aider à se projeter, mais cela suppose de les avoir créés en amont, et de les montrer suffisamment. En outre on ne peut pas forcément s'approprier un dessin.

La MEL indique qu'il vaut mieux utiliser des objets qui préfigurent l'usage et l'aspect de l'espace public (NDLR : des artefacts, comme on dit en design5). Ce sont par exemple des bancs, de la signalétique... C'est par ces objets concrets que les citoyens peuvent réellement toucher du doigt le changement.

Une métropole de taille moyenne confirme : l'expérimentation tentée n'a pas pris car l'équipe n'a pas réussi à faire du mobilier provisoire.

Dans la concertation, outre l'aspect ludique, c'est le suivi des usagers auquel il faut être attentif.

Autre point d'attention essentiel dans la concertation, valable ici comme ailleurs : user de formats et d'espaces de concertation qui permettent d'écouter réellement le point de vue des usagers, "pour éviter qu'ils ne disent que ce qu'on veut entendre." Attention au risque de détournement et d'appropriation de la concertation.

Enfin, sur une note différente, la maîtrise des coûts a été pointée comme facteur de succès (et peut-être aussi comme bénéfice !)

Quels résultats ?

Indiquer quels sont les résultats concrets que vous avez pu constater ou que vous imaginez.

Sans surprise, sont attendues des aménagements temporaires une transformation et une amélioration du cadre de vie.
Cette question permet en outre de rappeler l'importance de l'évaluation, à la fois quantitative et qualitative.

Quels écueils ?

Quels sont les erreurs à éviter ?

Un premier écueil réside dans des processus mal expliqués, l'absence de bilan prévu et de jalons clairs. Bien prévoir les étapes est une nécessité, sans quoi les citoyens ne peuvent être embarqués. Bien sûr, c'est valable pour tout projet d'aménagement, mais plus particulièrement quand il s'agit de réinterroger l'espace.

Les attentes spécifiques des commerçants ont été identifiées comme un autre point d'attention qui peut devenir un problème s'il n'est pas anticipé. En effet les commerçants ont tendance à résister au changement de l'espace public, vu comme une cause de réduction du chiffre d'affaires, ce qui peut être vrai à court terme (le temps des travaux) mais est plutôt faux à moyen-long terme (le chiffre d'affaires a tendance à augmenter dans les espaces rendus plus favorables aux piétons, ex. zones piétonnisées ou ZFE).

Assumer l'expérimentation est aussi une condition clé de réussite. On parle ici à la fois de portage politique, de capacité à assumer l'échec potentiel ; mais aussi et surtout, de contrer le biais de perfectionnisme bien français. Gare à ne pas surinterpréter les résultats, même s'ils sont parfois plutôt négatifs. Côté citoyens, il ne faudra pas confondre le temporaire avec le pérenne, ou être désorienté lorsque l'aménagement disparaît.

Trouver la bonne temporalité pour l'expérimentation est une autre condition. Sur un temps trop long, les équipements ne sont pas conçus pour et risquent une dégradation qui va influencer l'expérimentation. Sur un temps trop court, l'appropriation ne sera pas suffisante et le test ne pourra pas être concluant.

Enfin, attention à la contre-performance. L'aménagement temporaire ne doit pas montrer l'inverse ! Par exemple, des bancs co-construits avec des habitants peuvent être une belle initiative, à condition que les matériaux ne deviennent pas dangereux en cas de dégradation (clous qui dépassent, bois de palette qui se casse rapidement, vol d'objets non fixés).

Atelier 2 - Schémas piétons

Alain Besançon de l'ADEME introduit le sujet. Plan piéton, stratégie marche, schéma directeur piéton... Si les terminologies et les formats diffèrent, il s'agit souvent d'un document de diagnostic et de planification nécessaire pour les collectivités qui souhaitent promouvoir la marche comme déplacement du quotidien.
Face à la diversité des contenus et des formes, l'ADEME a rédigé, avec la communauté Mobilités piétonnes, une note de recommandation à destination des collectivités sur le point de s’engager dans une telle démarche. Elle décrit une méthode avec les bonnes questions à se poser ainsi que les acteurs à mobiliser.
Cet atelier est l’occasion de se poser ces questions dont les réponses conditionnent, à notre avis, la bonne réalisation du document et son utilisation pour que la marche et les aménagements piétons soient pris en compte dans les décisions des collectivités.

A quoi ça sert ?

Quelle utilité ? Quelle articulation avec les autres documents de planification (schéma vélo, PAVE…) ?

Le document permet d'abord opérationnellement d'établir un diagnostic, pour mieux connaître le territoire et la demande des usagers.
Il permet ensuite d'avoir une feuille de route concrète pour favoriser la marche sur un territoire.

Mais le processus d'élaboration est tout aussi important, car il permet de rendre visible la marche, de réunir différentes parties prenantes autour de la table pour parler marche, sujet auparavant peu pensé.

Le schéma piéton pense la marche à part entière et la remet au centre des réflexions. Mais surtout, à cause de la transversalité du sujet de la marche, le schéma piéton remet au coeur des principes d'aménagement l'articulation, l'harmonisation entre les modes de déplacements. C'est un des outils qui permettent de sortir des silos, entre les modes de transport, et entre les services. Il commence donc à insuffler un double réflexe, "piéton et cohabitation".

Place aux piétons Loire Sud rappelle la nécessité, notamment pendant les concertations autour de ce plan, de solliciter l'ensemble des parties prenantes concernées. Certaines personnes s'avèrent essentielles alors qu'on ne s'y attendait pas ! Par exemple, lors d'une concertation, le service de la voirie était présent, ainsi que le service des transports ; mais le service déchets n'avait pas été convié. On ne pense pas spontanément à associer les déchets à l'aménagement du territoire et aux politiques de mobilité, mais pour la marche, c'est fondamental car les piétons ont besoin de propreté et d'accessibilité (la présence des poubelles sur les trottoirs étant un facteur majeur d'entrave au cheminement à pied).

Quel contenu ?

Quelle est l’échelle la plus pertinente? Communale, intercommunale ? Quels types d’acteurs mobiliser ? Quel type de concertation mettre en place ? Quels niveaux de détails ? Sur les aménagements, la réglementation, les coûts ?

Les acteurs à mobiliser sont à la fois institutionnels et externes (notamment les associations).

Concernant l'articulation entre les différentes échelles territoriales, on peut envisager 2 échelles : un socle commun énonçant une stratégie transversale, que chaque territoire a la liberté d'implémenter localement.

Le Grand Angoulême témoigne de sa stratégie pour articuler les différentes échelles et compétences. En tant qu'AOM, la communauté d'agglomération n'a notamment pas la compétence voirie, propre aux communes. Grâce aux fonds du concours "Apaisement de l'espace public", l'agglo a décidé d'accompagner les centres-bourgs (2 à 4 000 habitants) à 50% du budget, avec de l'aide à l'ingénierie et à l'instruction, pour réaliser leurs aménagements en faveur de la marche et de l'apaisement des zones. Particularité : l'agglo repartage ensuite à l'ensemble des communes les actions qui ont été financées, afin de capitaliser sur les expériences et de faire connaître les possibilités, et d'inciter d'autres communes à enclencher une dynamique.

Comment le mettre en œuvre ?

Comment et quand l’utiliser ? Document prescriptif, programmatique ?

Pour la mise en oeuvre, les participants soulignent l'importance d'établir un budget dédié au plan marche, à la fois pour pouvoir mener les actions, mais aussi pour signaler qu'il s'agit d'un vrai mode de déplacement, à prendre en compte.
Cependant, la marche a une particularité : elle touche souvent à de nombreux autres services. Lors de l'établissement d'un budget, il est donc important de commencer par recenser les projets et les budgets déjà existants. Par exemple, des projets menés par un service culture ou tourisme, ou des aménagements de voirie ne sont pas toujours étiquetés "marche" alors qu'ils sont très liés.

💡 NDLR: Appel à volontés !

Un exercice intéressant à faire :

Extraire du budget d'une commune les différentes lignes qui ont trait à la marche, au sein des différents services (voirie, espaces verts, santé, écoles...) Cela permettrait de visibiliser les montants dédiés réellement à ce domaine!

La même chose pourrait être faite sur le budget d'économies carbone, pour montrer les bénéfices de la marche.

La Ville de Chambéry souligne par ailleurs l'importance du "faire" : plutôt que d'élaborer le schéma parfait, tentons des petites actions ! C'est un travers bien français par rapport au Québec par exemple. Un exemple : l'élue a identifié une enveloppe de la PPI sur les "petits travaux" afin de l'utiliser pour les petites modifications qui ne coûtent pas cher, mais qui gênent énormément de nombreuses personnes qui passent tous les jours par là. En faisant remonter ces "petites" entraves via les conseils de quartier, ou via les services, on peut via cette petite enveloppe alors résoudre assez facilement et à moindre coût des problèmes très pénibles.
Ce témoignage permet aussi de rappeler que le "bottom-up" doit être moteur dans les décisions de politiques de marche.

Place aux piétons Loire Sud rappelle aussi l'importance du sensible : intégrer les odeurs, le bruit, la nature, investiguer pourquoi les lignes de désir sont dessinées ici et non ailleurs... Associer les enfants permet souvent de toucher du doigt le sensible.
A noter que le vent peut être un point positif (la brise dans les feuilles) ou un point négatif (le souffle fort d'un courant d'air) !

Une question a ensuite été discutée par les participants. Comment les territoires orchestrent-ils l'articulation entre les différents schémas de thématique proche (ex. documents d'accessibilité type PAVE, schéma mobilités actives, plan piéton) ? Les témoignages donnent à voir que chaque situation est particulière.
A Lannion, le PAVE et le Plan piéton sont élaborés conjointement, selon un cahier des charges qui recense toutes les différentes bases de données et documents déjà existants dans les différents services.
A Dijon métropole, la collectivité a commencé par un schéma mobilités actives (qui a été publié), puis un schéma directeur piéton a été lancé pour préciser le sujet marche (en cours d'élaboration). En parallèle, un PAVE, plan de mise en accessibilité des voiries et espaces publics, est aussi en cours d'élaboration. La possibilité de faire ces deux derniers schémas conjointement a été considérée, mais les temporalités ne concordaient pas, notamment car le temps nécessaire pour faire le diagnostic d'accessibilité pour le PAVE était bien trop long pour ce qui était souhaité côté schéma piéton. C'est pourquoi deux documents différents sont prévus.

Les participants ont aussi appelé à la présence, dans les services techniques, d'un agent spécialisé marche, au même titre qu'un chargé de mission vélo ou transports publics. Car les enjeux propres à la marche nécessitent d'être formé. Cela peut être un référent marche transverse à différents services (mobilité, santé...)

Conclusion

Le déploiement d'aménagements temporaires et l'usage de stratégies piétonnes se développent, depuis le Covid pour le premier et plus récemment pour le second. Ce sont des modes d'action nouveaux, car la marche n'est pas un mode de déplacement comme les autres : elle vient questionner la politique publique et la concertation, à la fois en interne (entre les services) et en externe (avec les citoyens).
A travers les réponses et les témoignages des collectivités, cet atelier collectif a permis de faire émerger des pistes de recommandations concrètes pour réussir ses aménagements temporaires et ses schémas piétons.
Au fur et à mesure que d'autres communes se saisiront du sujet, l'expérience se fera plus riche et les résultats et conditions de succès plus nets. Nous en sommes encore au début, mais la vague continue !

1 :

Voir à ce sujet les guides du Cerema publiés en 2020 Aménagements provisoires pour les piétons et Aménagements cyclables provisoires.

2 :

Voir à ce sujet le guide du Cerema Design actif, l'espace public en mouvement, 2024

3 :

Voir à ce sujet le guide de l'ADEME et de l'Institut Paris Région Approche tactique : pour aménager les espaces publics autrement, 2024

4 :

Ces guides sont dits "express" car leur publication s'est faite en quelques semaines pendant le premier confinement, ce qui prend en général plus de temps.

5 :

Voir cet article (en anglais)