
Par Marguerite Grandjeanen June 2025 - contribuer
Comment évaluer le potentiel de marche d'un territoire, la capacité d'un territoire à attirer les piétons ?
Le 17 juin 2025, la FabMob a animé, pour le compte de l'ADEME et en partenariat avec le Cerema et le Réseau Vélo et Marche, un atelier d'1h30 sur le thème des indicateurs de marchabilité qui a réuni une quarantaine de participant.e.s, collectivités, bureaux d'études et associations.
Cet atelier faisait partie, dans le cadre du programme ID-Marche (la partie marche du Plan Vélo et Marche 2023-2027 lancé par le Ministère des Transports), de la série de webinaires organisée autour de l'appel à projet "Marche du quotidien" porté par l'ADEME, aidant les collectivités à développer la marche sur leur territoire, et de la e-communauté "Mobilités piétonnes" (accès nécessitant une inscription) orchestrée par le Cerema et le Réseau Vélo et Marche, réunissant tous les acteurs de la marche.
Après un bref cadrage pour poser la définition et les enjeux de la marchabilité, nous avons travaillé par sous-groupes sur un tableau Miro collaboratif. Une synthèse rapide a été donnée en fin d'atelier ainsi qu'une conclusion avec les ressources clés à connaître. Vous trouverez le replay vidéo ici.
L'idée était inspirée d'un atelier animé par Marion Torterotot et Sylvaine Le Noxaïc lors de la Journée des données d'accessibilité du 13 mars 2025.
Il s'agissait d'introduire le sujet de la "marchabilité", et de faire travailler les participant.e.s sur les façons de la diagnostiquer, la mesurer, à travers des indicateurs (critères) et des mesures (chiffres).
Quelques retours de collectivités nous ont indiqué qu'un éclairage était bienvenu, car si elles se préoccupent de plus en plus de la marche et des piétons, le terme de "marchabilité" reste plus nébuleux.
La DRIEA (l'ancienne DRIEAT) IDF, dans son étude de 2019 "Favoriser la « marchabilité », un levier d’actions pour améliorer la santé des franciliens", donnait la définition suivante : la marchabilité, c'est “la capacité d’un territoire à susciter la pratique de la marche”.
Le domaine, issu de l’anglais “walkability”, a émergé dans la littérature anglo-saxonne dans les années 2000.
Rappelons tout d'abord que la marche est longtemps resté un "impensé" des politiques de mobilité, malgré son importance dans les pratiques (2e mode de transport le plus pratiqué après la voiture, liant essentiel de tous les autres transports). Nous en avons parlé ici. Peut-être est-ce dû au fait que c'est le seul mode qui peut être considéré comme "non-médié" ? Autrement dit, vos deux pieds vous suffisent, point besoin d'outils (vélo, voiture) ou d'infrastructures complexes (rails, routes).
En fait, c'est sans compter la réalité des espaces où l'on marche, en ville comme en ruralité. On ne marche pas n'importe où. Le choix de marcher quelque part dépend d'un grand nombre de facteurs. Certes, cela dépend d'abord de vos chaussures et votre état de santé, mais aussi du type d'espace autour de vous : parce que vous êtes au plus près du terrain, vous sentez d'autant plus les dévers, les revêtements, la température, la monotonie, les obstacles...
Pour l'anecdote, c'est ce que revendiquent les chercheurs Anne et Patrick Beauvillard, qui dans leur démarche de recherche-action ont choisi délibérément d'arriver à pied chez les organisations de l'économie sociale et solidaire qu'ils souhaitaient solliciter. Ils ont sillonné le territoire à pied pendant plusieurs années, mettant la marche au coeur de leurs travaux : "La marche permet de s’imprégner du territoire. Elle donne le temps à sa découverte, à son appropriation sensible, ainsi qu’à l’introspection nécessaire pour sentir, comprendre et relier les interactions entre le territoire, le collectif, et l’individu." (site de l'Institut des Territoires Coopératifs)
Si l'on résume grossièrement en comparant la marche aux autres modes, on peut dire qu'elle s'inscrit non seulement en "2D" (itinéraires de A à B, essentiels notamment dans une logique de réhabilitation de la marche comme mode de transport, de loisir ou domicile-travail, mais aussi en "3D", avec tout l'espace autour du trajet : en haut (ombre, soleil, ciel...), en bas (revêtements, fréquentation...), sur les côtés (esthétique et environnements longés, commerces, bâtiments...).
C'est à cette complexité finalement que cherche à répondre la notion de "marchabilité". Il s'agit de lister les différents critères qui rendent un espace "marchable", et de tenter de les quantifier. Ainsi, votre territoire vous donne-t-il plus ou moins :
La notion de "marchabilité" comporte bien l'idée de mesurer, quantifier, objectiver, diagnostiquer : il s'agit d'aider au pilotage d’aménagements publics (ou privés : foncier, immobilier...) de l’espace. D'où l'idée de cet atelier aujourd'hui : Quels indicateurs (critères) utiliser pour aménager des espaces réellement marchables ? Comment les mesurer ?
Lors de l'atelier, les participant.e.s ont d'abord indiqué si une évaluation de marchabilité était en cours sur leur territoire.
Les résultats à l'échelle de ce petit atelier confortent nos observations depuis un peu moins de 2 ans que nous investiguons le sujet, et l'avis des experts que nous avons pu interroger autour de nous : ce type de diagnostic est encore rare.

Lors de l'atelier, les participant.e.s ont évoqué le besoin de clarifier les indicateurs pertinents et les difficultés à le faire, comme cela nous avait été remonté par Thierry du Crest, coordinateur interministériel au vélo et à la marche, dès le début 2024.
Plusieurs collectivités témoignent être en quête d'indicateurs pour la marche, comme ce qui peut exister pour le vélo. Par exemple, le nombre de kilomètres de pistes cyclables constitue un indicateur assez simple d’utilisation à plusieurs échelles de suivi : il peut être utilisé pour les aménagements locaux à l’échelle des communes, tout en étant comparable dans le temps et entre territoires pour un suivi et un pilotage plus global. De tels indicateurs sont-ils applicables pour la pratique de la marche, assez distincte de celle du vélo ? Ou faut-il plusieurs indicateurs différents pour plusieurs échelles de suivi ? Il existe un enjeu de visibiliser le besoin et de monter en compétence sur le sujet.
Une agglomération de taille moyenne (dont nous tairons le nom!) a partagé son expérience : lors de l'élaboration de son schéma directeur mobilités actives, peu d'indicateurs pour mesurer ont été utilisés, et même au-delà des mesures, peu d'idées ont été envisagées à part éviter le stationnement sur trottoir, développer les parvis des écoles, faire attention à bien prendre en compte les gros sujets (confort, largeur) à réfection des aménagements.
Côté méthodes de recueil de mesures, la Ville de Maubeuge partage avoir mené un questionnaire auprès des habitants pour avoir un ressenti plutôt sensible de la marche en ville.
La Région Sud indique se servir du "Baromètre des villes et villages marchables", questionnaire porté par un collectif d'associations pour rendre compte à l'instant T de l'avis des citoyen.ne.s d'une collectivité, pour faire remonter le sujet auprès des élu.e.s et revendiquer un certain nombre d'attentes, dont la collecte plus fréquente de données.
Certaines collectivités implémentent et partagent déjà des critères. Le bureau d'études ADETEC indique par exemple que la Métropole de Lyon, Lille, Saint-Nazaire et Paris mesurent la part d'espace attribué à chaque mode de déplacement. Cela permet les comparaisons au sein d'une même collectivité et entre les villes. Lorsqu'il est relié aux parts modales, cela constitue aussi un chiffre pédagogique pour les élus : par exemple, la voiture à Paris ne représente que 10% de part modale, et pourtant occupe 50% de la voirie.
Les participant.e.s étaient invité.e.s à répondre aux questions suivantes :
Nous avons subdivisé l'audience en 3 sous-groupes par taille de collectivités, avec l'idée que les enjeux ne sont pas les mêmes selon ces types de territoires.
La subdivision s'est révélée pertinente puisque les collectivités (ou assimilés) inscrites se répartissaient quasi-parfaitement dans les 3 groupes (9 communes de moins de 30 000 habitants, 8 villes moyennes de 30 à 120 000 habitants, et 9 métropoles de plus de 120 000 habitants).
Les groupes ont travaillé sur post-its sur l'outil Miro. Nous avons rassemblé les idées (post-its) par thématique. Les participant.e.s ont ensuite été invités à voter sur les indicateurs et mesures qu'ils jugeaient les plus pertinents.
Ci-dessous vous pouvez accéder aux détails sur le Miro :
D'après les votes, l'ensemble des participant.e.s à l'atelier a convergé vers 4 indicateurs principaux :
Côté mesures (chiffrages plus précis), ont été mises en avant diverses mesures :
Le sous-groupe des communes de moins de 30 000 habitants ont axé leurs échanges plus particulièrement sur 3 indicateurs.
Les échanges ont beaucoup tourné autour du sentiment de sécurité, notamment le lien avec l'éclairage. La commune de Saint-Ave (12 000 habitants) a partagé que l'arrêt des éclairages autour des centres-villes à partir de 21h30, notamment pour des raisons d'économies d'énergie et de protection de la biodiversité, pourrait augmenter le sentiment d'insécurité.
Une réponse (proposée par le cabinet Todomodo) pourrait être de différencier les éclairages selon les différents besoins (par exemple voitures vs. piétons), plutôt que de n'utiliser que des mâts. C'est le choix qu'a fait par exemple Plaine Commune, qui dans son schéma directeur d'aménagement lumière (SDAL) a pu moduler le niveau de luminosité de façon plus fine selon les emplacements.
Pour autant, la recherche montre que la luminosité n’influe pas sur le nombre d’agressions.
En outre, l'éclairage n'est pas la seule variable dans la perception de sécurité ou non. Notamment, le sentiment d'être isolé joue beaucoup. C'est lié au trafic piéton sur une zone, à la "covisibilité" de différents publics sur une zone (ex. des familles sur un parc de jeux le long d'une rue), à la visibilité d'une avenue vs. une ruelle, à des commerces ouverts tard le soir...

Canicule oblige, les participants ont insisté sur les questions d'ombrage et d'ensoleillement, et plus globalement de chaleur, les points d'eau (fontaines et eau potable) étant notamment à prendre en compte en matière de rafraîchissement.
En termes de mesures, au-delà de compter le nombre d'arbres sur un cheminement, il faut tenir compte de la hauteur des arbres ou des bâtiments. Les calculs de surface d'ombrage peuvent se faire à des horaires donnés, en période estivale par exemple.
La Ville de Lyon a par exemple commencé à cartographier des "itinéraires frais", avec des jeux de données tenant compte de l'ombrage, de la végétalisation, mais aussi des fontaines, des plans d'eau, et même des cinémas et des piscines.

L'attractivité des centres-villes a été mentionnée comme critère de marchabilité important, mesurée par exemple par le nombre et la qualité de commerces présents (ou autres sources d'attractivité), voire par le chiffre d'affaires des commerces présents, ainsi que par les flux piétons et la fréquentation des espaces. Mais l'attractivité, c'est aussi la diversité des rez-de-chaussées traversés : commerces, alternance entre bâti et végétal... pour éviter de longer un mur de 200 mètres !
C'est aussi la connectivité des espaces, notamment vers les pôles générateurs de mobilité et les zones touristiques, ou encore les liaisons entre zones d'habitation & centres-villes ou zones commerciales, avec une marchabilité des zones péri-urbaines ou résidentielles qui pose question.
La Ville de Lisieux a ainsi partagé qu'une fois son centre-ville bien aménagé, se pose désormais la question de la liaison avec le reste de la ville. Au-delà même des mesures, comment faire des choix de cheminements ? Et comment créer des pôles de vie amenant des cheminements ?
Pour la communauté de communes des Gorges de l’Ardèche, très touristique (population x7-10 en été), les questionnements sont différents. Parmi les 20 petites communes, 2 ont des pôles générateurs de mobilité (santé, loisirs, commerces). Quelle place de la voiture en centre-ville ? Quelle accessibilité pour pouvoir cheminer jusqu’aux centres ? Quelle connectivité pour rediriger vers les espaces patrimoniaux et commerciaux ?

Dans l'un des sous-groupes, l'association A Vélo Malo (à Saint-Malo) a posé une question : Faut-il différencier les types de marcheurs ? ex. le marcheur avec poussette, le marcheur rapide - pas de temps à perdre, le marcheur qui va acheter du pain... En effet, il nous a été souligné lors de notre exploration début 2024 qu'il y a autant de types de marches que de piétons. Comment alors piloter les actions en répondant aux différents besoins ?
Pour la Région Sud, il est essentiel de différencier les types de marcheurs dans la ville. En revanche les critères de différenciation sont importants. Le travail d'une étudiante (création d'une typologie de marcheurs et demande de représenter les trajets qui pour eux sont les plus faciles et agréables) a montré que là où il y a le plus de différences, c'est entre PMR et autres personnes : les PMR insistant sur la qualité des trottoirs et la sécurité, et les autres plutôt sur les raccourcis. Il peut y avoir un rapport de 1 à 3 entre la vitesse des personnes plus lentes et celle des personnes actives.
Autre manière de segmenter : par type de cible visée. À Maubeuge, le questionnaire demandait aux répondants pourquoi ils prenaient leur voiture au lieu de la marche ou du vélo, et qu'est-ce qui les ferait passer à la marche. Cela permet à la fois de sensibiliser à la question, et d'identifier un public qui passerait de la voiture à la marche pour des actions plus ciblées.
L'ADAL propose une autre vision : s'interroger sur les trajets réalisés versus ceux qui ne sont pas faits du tout, car trop d'obstacles et de freins. Jusqu'à se faire livrer plutôt que sortir de chez soi.
In fine, le groupe converge vers l'intérêt de se concentrer sur les publics les plus fragiles (PMR, enfants, seniors), car ce sont eux qui marchent le plus, et les aménagements à leurs bénéfices profitent aussi au reste de la population (constat déjà partagé lors de la Journée accessibilité du 13 mars).
Pour aller plus loin, nous recommandons quelques ressources clés sur la marchabilité :

Open Mobility Indicators, un ensemble d’outils logiciels libres et collaboratifs qui créent des indicateurs de mobilité durable à partir de données ouvertes (INSEE, OSM, le PAN...). Lien vers la carte, Veille sur les outils pour la marche.
Open Marchabilité, une étude de la description des données piétonnes dans OpenStreetMap (carte & base de données géographiques en accès libre) par Someware & Jungle Bus, pour l’ADEME. Lien vers l'outil.

L'atelier nous pousse à conclure sur 2 constats clés :
1. De nombreux travaux, notamment anglo-saxons, ont réfléchi au sujet complexe des indicateurs de marche, et modélisé des indicateurs suivant différentes méthodes (cf. paragraphe "ressources" ci-dessus). Pour autant, en France en tout cas, il n'y a pas encore de consensus mature autour d'indicateurs clairs permettant le pilotage local ou national de politiques de marche (ou d'implantations privées, commerces ou habitats) comme cela peut exister pour le vélo ou les TC.
Un exemple : dans le Hub des données de mobilité durable créé par le CGDD / Ecolab, on peut trouver des indicateurs dédiés au vélo et aux TC, mais aucun ne concerne la marche !
On peut recenser 3 niveaux d'indicateurs de suivi :
2. Par ailleurs, l'atelier tend à montrer que les indicateurs essentiels sont peut-être bien déjà disponibles et mesurés. L'exemple des cartes de bruit et de pollution est révélateur. En région parisienne par exemple, Airparif fournit une carte de qualité de l'air, et Bruitparif une carte de bruit, mais les plans marche ou plans piéton n'en tiennent pas forcément compte dans leurs aménagements malgré la disponibilité de la donnée.

Côté données disponibles, de nombreux jeux existent depuis longtemps déjà, via les obligations liées à l'accessibilité, la voirie, les espaces verts... Mais ces jeux existants ne sont pas forcément utilisés au service de politiques de la marche, du fait de formats variables, pas toujours exploitables facilement, ou même d'absence de lien entre services au sein des collectivités. Certaines données manquantes sont en outre parfois coûteuses à générer (ex. relevés de terrain). L'enjeu pourrait donc bien être, outre comparer les méthodes existantes de création de données, de rassembler des données existantes.
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