Par Communauté Démobilité - Malou Charentonen March 2021 - contribuer
Les crises sanitaire, démocratique, écologique (Covid-19, grève des transports, mouvement des gilets jaunes, crise climatique) auxquelles nous faisons face, nous poussent à reconsidérer le rôle des déplacements dans notre quotidien. Elles s’accompagnent d’un éloignement des transports publics, d’une croissance des mobilités individuelles (voitures, mais aussi marche et vélo), et également d’un recours plus fréquent au télétravail, pour les personnes qui peuvent y recourir. Elles révèlent dans certains cas une appétence et une capacité des usagers à transformer leurs usages 1, et mettent en lumière la nécessité d’interroger un droit à la mobilité qui peut résonner comme une injonction 2. La récente étude de Forum Vies Mobile 3 confirme d’ailleurs une demande citoyenne de réduction des mobilités considérées comme subies. Il faut sortir du paradigme du déplacement comme marqueur de liberté et de richesse, de redonner sa valeur au temps et de commencer à construire une alternative à un modèle à bout de souffle.
Cette sur-mobilité procède des progrès des modes motorisés qui ont radicalement transformé les modes de vie, en France et dans le monde, générant augmentation des distances vitales, étalement urbain, dépendance à la voiture, mais aussi industrialisation d’une filière très soumise à la concurrence. Ce modèle perdure mais atteint ses limites: congestions à répétition, artificialisation du territoire, irresponsabilité face aux défis du climat, ou encore la matrice épuisante du métro-boulot-dodo et l’augmentation des problèmes de santé publique, dûs à la sédentarité ou la pollution.
Et si la démobilité permettait un changement de paradigme? Contrairement à certaines idées reçues, la démobilité ne renvoie pas à l’immobilisme, à une privation de libertés, ou même à l’obligation de recourir aux transports en commun.
La démobilité, c’est encourager des modes de vie moins dépendants de la voiture,
La démobilité, c’est organiser la ville et le quotidien pour réduire, éviter, effacer, supprimer les déplacements non souhaités,
La démobilité, c’est développer des ressources de transport en conséquence et une mobilité de proximité par les modes actifs.
La démobilité, c’est donc en contrepoint organiser autrement les accessibilités du territoire et des personnes, et ainsi les modalités d’accès aux services essentiels à proximité des lieux de vie. Elle implique un découplage des transports et de la mobilité: la mobilité tient à l’accessibilité et à la reliance (création de liens, d’opportunités et de synergies) et le transport est une des solutions qui les rend possibles, mais il n’est pas le seul et les leviers à activer sont nombreux.
La démobilité est un droit dont la mise en œuvre implique de s’inscrire dans un autre système d'habiter qui favorise le proche, le voisinage, le quartier, sans renier toutes les autres échelles du territoire. Celle-ci mobilise des ressources différentes: les proximités, les partages, ou encore les communs.
L’enjeu majeur aujourd’hui est de rapprocher les points de vue des acteurs de la ville, des élu.e.s, des décideur.euse.s d’un côté, et des opinions, des représentations et des attentes des usagers de l’autre, c’est pourquoi nous nous adressons à la fois aux territoires, aux industriels, et offreur.euse.s de solutions, ainsi qu’aux individus, en tant que citoyen.ne.s et consommateur.rice.s.
Les territoires font face à de nombreux enjeux, dont la lutte contre le changement climatique, la recherche d’équité territoriale et le dynamisme des communes. Pour améliorer l’accessibilité des citoyen⸳ne⸳s aux biens et aux services essentiels, et ainsi faciliter la vie quotidienne, de nombreuses collectivités territoriales ont investi leurs ressources dans le déploiement d’infrastructures de transport, de nouvelles offres de services de mobilité et des aides financières à la mobilité. Si ces démarches ont permis d’apporter les réponses nécessaires dans certains contextes, elles peinent à émerger dans d’autres, ou ne font qu’encourager un modèle basé sur l’allongement des distances, qui ne satisfait pas les attentes et les besoins de tout.e.s les habitant.e.s. Derrière le changement de nos paradigmes de mobilité, ce sont les logiques d’ensemble du développement territorial qui sont à repenser 4.
Tous les territoires n’affrontent pas les mêmes problématiques en fonction de leur typologie, mais tous ont à gagner à réfléchir à la réduction des mobilités subies, et à agir en faveur de la démobilité:
La démobilité permet d'œuvrer en faveur du rééquilibrage territorial et d’inventer de nouvelles manières d’aborder le quotidien, en s’appuyant notamment sur les ressources locales, déjà actives sur le territoire, ou en puissance, et en activant le principe de subsidiarité: en délocalisant vers le plus proche les ressources qui peuvent l’être. Elle cherche à valoriser les proximités, spatialement mais aussi socialement. En cela, elle constitue un véritable facteur d’attractivité des territoires et peut être vectrice de création d’emplois. Par ailleurs, elle favorise la résilience des territoires: en rapprochant les services, les biens et les personnes, en facilitant les liens entre ceux-ci et en raccourcissant les déplacements.
La démobilité ne prône pas l’immobilisme ou la suppression des véhicules, elle invite à interroger et repenser leurs usages; et avec eux le sens et les modalités de l’accessibilité. En effet, même si la transition vers un système de mobilité plus durable s’avère indispensable, il n’est pas possible de nier l’organisation spatiale des villes que l’utilisation généralisée de la voiture a engendré.
Pour cela, elle ne suppose pas uniquement une amélioration des solutions de mobilité et de transport existantes, mais elle requiert aussi le développement de nouvelles solutions pour satisfaire des usager.ère.s dont les besoins ne sont pas rendus visibles et donc pas entendus aujourd’hui. La démobilité n’est pas la décroissance, même si elle s’inscrit dans la même déploration des excès et dans la même réflexion sur les impasses du progrès.
Pour autant, elle favorise le renouveau de l’industrie et de l’innovation dans des secteurs porteurs, en phase avec les attentes des individus désireux de ralentir. Les industriels et les offreurs de services doivent s’en saisir pour inventer de nouvelles solutions destinées à réduire les mobilités subies et améliorer l’accessibilité des habitant.e.s sur les territoires.
L’innovation n’est pas linéaire, de la même façon que la voiture ne résulte pas d’une amélioration technique de la calèche, les solutions pour la démobilité ne se satisferont pas de briques technologiques, elles seront les produits d’une filière qui reste à inventer, et dont les modèles économiques pourront être amenés à évoluer. Le schéma ci-dessous de Clay Christensen permet d’illustrer ce propos et montre bien que les innovations disruptives sont le fruit d’une rupture avec le paradigme en place. Il ne s’agit plus d’améliorer un produit (A) ou de proposer un coût plus bas aux consommateurs identifiés (B), mais bien de chercher à satisfaire des non-consommateurs (C) leur proposant de nouveaux services ou de nouveaux produits.
© Clay Christensen
Les industriels et offreur.reuse.s de solutions doivent accompagner ces demandes qui ne sont pas écoutées par le secteur, et participer à la construction d’une filière porteuse, qui oeuvrerait à la fois en faveur du bien être social, du dynamisme économiques des territoires et du respect des engagements climatiques pris par les acteur.rice.s public.que.s
En donnant voix à la réalité des mobilités considérées comme subies, la démobilité interpelle la tension entre l’offre et la demande de mobilité et révèle un déséquilibre. Depuis des années, c’est l’offre de transport et de mobilité qui semble fabriquer la demande. L’industrie publicitaire a produit des conducteurs 6, les infrastructures routières ont précédé l’étalement urbain et accompagné le développement de centres commerciaux à l’extérieur des villes, et les aides publiques à l’achat ou au remplacement des véhicules sont venues alimenter l’inflation structurelle des parcs motorisés. Une augmentation de la demande de mobilités s’en est suivie par effet d’entraînement, poussées par les nouvelles configurations territoriales, la désertification des centres-villes et les difficultés de mise en place d’un transport public efficient.
Il est temps d’inverser ce paradigme et de laisser la place à la demande citoyenne désireuse d’une mobilité de proximité, comme en témoigne les propositions du grand débat national qui a révélé une volonté citoyen.ne de “favoriser un urbanisme de proximité qui permettra de réduire les déplacements” et celle de “réduire les mobilités inutiles en favorisant le télétravail, et les temps de transport domicile-travail” pour faire face aux enjeux écologiques et sanitaires.
La crise sanitaire a été, entre autres, le cristallisateur des appétences aux transformations des usages. En février, moins de 1% des consultations médicales se faisaient à distance, en avril, nous étions à 20%, et une récente enquête faisait valoir une majorité des français prêts à activer cette modalité (Les Français sont de plus en plus nombreux à déclarer pouvoir envisager de recourir à la téléconsultation (58%,+6 points). De plus, outre le télétravail, cela se vérifie dans les commandes, les formalités administratives ou encore la restauration à distance. Mais aussi dans l’explosion de la marche et du vélo. Il n’y a pas de passage en force, mais une libération des usages face à une résistance parfois des institutions qui font montre de conservatisme.
Par ailleurs, l’étude de Forum Vies Mobiles sur la mobilité et les modes de vie met en lumière que les français consacraient en 2019 environ 10h par semaine aux déplacements et parcouraient environ 400 km, le double de ce qui avait été relevé dans l’Enquête Nationale Transport et Déplacements en 2008, ce qui pousse à considérer les déplacements comme une activité à part entière du quotidien. La démobilité, en jouant sur les distances, les modes ou la fréquence des déplacements est un levier pour regagner le temps passé actuellement dans les transports ou au volant de son véhicule.
Usager.ère du transport, de la mobilité et de la démobilité, vous êtes aussi citoyen.ne en capacité d’agir pour votre environnement, votre qualité de vie ainsi que celles des autres, en exprimant des attentes qui divergent du statu quo, et accompagnant le développement de nouveaux réseaux de proximités.
71,6% des télétravailleurs durant la crise sanitaire souhaiteraient télétravailler plus souvent en temps normal (Teletravail, (im)mobilité et modes de vie, ADEME, 2020)
Le mouvement des gilets jaunes l’a montré en déplorant les excès de mobilités subies liées à des déplacements contraints dans la vie quotidienne.
53% des français sont pour un rationnement des mobilités (Les impacts du confinement sur la mobilité et les modes de vie, Forum Vies Mobile, 2020)
François Leclercq, Architecte, Débats & Analyses, Le Monde, 27 décembre 2018, cité dans le Manifeste des Hubs de démobilité
57% des individus résidant dans des centres métropolitains aspirent à vivre ailleurs, contre seulement 25% dans les communes isolées des pôles urbains (observatoire OUEV, 2017, cité dans le manifeste des hubs de démobilité)
L’industrie automobile occupait le second rang des annonceurs en 2018 avec environ 3,3 milliards de dépenses en 2018, soit environ 1 500 € de dépenses de publicité pour chaque voiture vendue en France (Callouet, 2018)