Par Ghislain Delabie & Marguerite Grandjeanen October 2023 - contribuer
Le gouvernement s'apprête à lancer en novembre une offre de leasing social ciblée sur "les ménages les plus modestes". Il s'agit d'une location longue durée d'un véhicule à 100€/mois maximum, réservée aux déciles de revenus les moins élevés, avec ou sans option d'achat à la fin du contrat. Ce dispositif est élaboré avec les constructeurs automobiles et les loueurs longue durée et concerne des véhicules produits en France et pas trop onéreux (les exemples donnés sont Citroën ë-C3, Fiat 500 e, Twingo e-tech, future R5 de Renault). Un ciblage réservé aux 5 premiers "territoires ZFE" (Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Rouen)) et aux "gros rouleurs" est également à l'étude, sans être arbitré.
Salué par de nombreux experts et observateurs (citons par exemple Transport & Environnement ou la Mission parlementaire flash sur les ZFE), le leasing social cumule plusieurs avantages :
Dans sa phase de démarrage, le leasing social serait ouvert, selon Les Echos, à 10 000 à 20 000 contrats par an.
Au total, un minimum de 1 300 000 actifs habitent dans ou à proximité immédiate des 5 premiers territoires ZFE, appartiennent aux 4 premiers déciles de revenus, et utilisent une voiture pour leurs trajets du quotidien (en particulier, se rendre à leur travail).
Il apparaît donc utile de préparer dès maintenant l'étape de massification du dispositif, qui suivra la phase de démarrage actuelle.
5 questions se posent alors dans cette perspective d'amplification du dispositif.
L'élargissement de la gamme de véhicules accessible en leasing social aux VELI, Véhicules ELectriques Intermédiaires, petits véhicules situés entre le vélo et la voiture, nous paraît apporter des réponses tangibles à ces problématiques.
Les ventes d'automobiles, neuves et d'occasion, sont en baisse structurelle depuis plus de 10 ans. 2,2M de véhicules neufs ont été vendus en 2011 et avant, 1,6M depuis 2020. Le marché du véhicule d'occasion, bien que 3 fois plus important environ et prenant une proportion de plus en plus grande dans les ventes totales, a malgré tout lui aussi baissé depuis 2019, année record. Les constructeurs affirment que les conditions géopolitiques existantes rendent plus difficile l'approvisionnement en matériaux et en composants stratégiques pour une électrification rapide, ce qui ne leur permettrait pas d'augmenter significativement les volumes de véhicules neufs (a fortiori électriques) commercialisés d'ici 2030.
Même si le futur contrat de filière automobile 2023-2027 pourrait fixer l'objectif de 50% de modèles électriques vendus en 2027 (soit environ 800 000 unités), cette offre additionnelle sera largement absorbée par la forte demande des entreprises et des particuliers des déciles 8 à 10, ceux-ci devant eux aussi prendre le virage de l'électrification. Si la demande est supérieure à l'offre française, cela conduira à davantage d'importations de véhicules et à de l'inflation sur le prix de ces véhicules, ce qui serait contre-productif pour les ménages, les entreprises, et l'Etat qui finance l'acquisition de ces véhicules.
Le marché du neuf étant en baisse importante, le marché de l'occasion le sera lui aussi mécaniquement dans les années à venir, sauf à inciter fortement les flottes professionnelles à s'électrifier comme nous le recommandions dans notre proposition de stratégie pour des ZFE qui fonctionnent.
Dans ces conditions, peut-on produire, assembler, maintenir, recycler en France des centaines de milliers de nouveaux véhicules électriques, au-delà des capacités actuelles prévues ?
La structuration d'une filière de VELI permettrait d'augmenter fortement le nombre de véhicules produits en réponse à la forte demande. Cela serait possible notamment du fait de la plus faible consommation en ressources que représente la production d'un VELI (plus petit et plus léger).
L'empreinte écologique des voitures en termes de carbone, de pollution et des autres externalités peut être réduite via 3 leviers :
Ces 3 leviers se suivent de façon séquentielle. D'abord, on regarde si le besoin en mobilité est nécessaire, si le déplacement peut être évité. Ensuite, si ce besoin ne peut être évité, on utilise d'autres modes moins émetteurs : transports publics, vélo, VAE, marche. Enfin, si le déplacement est nécessaire mais que ces modes de transport alternatifs ne peuvent être disponibles, alors on améliore l'efficience environnementale du véhicule individuel.
Si l'on part du principe que les besoins en déplacements des plus démunis ne peuvent être réduits, car ils font nettement moins de déplacements non contraints (loisirs, vacances), alors considérons les 2 autres leviers : report modal et efficience.
Report modal : La comparaison des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) des différents modes montre que la voiture électrique produit, selon les cas, entre 30 et 50g CO2/km. Cela représente un gain considérable par rapport à la voiture thermique (100g CO2/km), mais supérieur à l'utilisation de transports publics métropolitains ou de modes actifs (marche, vélo, VAE) à 10g CO2/km, ou le TER à 30g CO2/km. C'est pour ces raisons de bilan carbone et d'accès aux transports que de nombreux investissements existent dans les transports publics locaux et régionaux (dont les SERM, les Services Express Régionaux Métropolitains), ainsi que dans les mobilités actives, par exemple le Plan Vélo et Marche 2023-2027 qui doit mobiliser 6 Md€ (Etat et collectivités).
Le développement des modes alternatifs, essentiel, ne supprimera pourtant pas totalement le besoin d'utiliser un véhicule individuel pour certains usages. Comment alors réduire au maximum le bilan écologique du véhicule utilisé ? C'est l'enjeu d'efficience.
Efficience : La France a amorcé en 2023, avec le score environnemental des voitures éligibles aux subventions publiques, une politique pionnière en Europe, qui vise à répondre au double défi de préserver une production européenne et de garantir que celle-ci est suffisamment sobre du point de vue énergétique et bilan carbone. Les véhicules électriques qui bénéficient d'un financement public (bonus écologique) auront donc un bilan carbone, sur l'ensemble du cycle de vie, 2 à 3 fois inférieur à celui d'un véhicule thermique équivalent. Notamment, comme l'indique Transport & Environnement, le score environnemental est un très bon début dans la réduction de la taille et du poids des voitures, nécessaire pour un réel impact non seulement sur les émissions GES, mais aussi sur la pollution, l'encombrement des villes, et d'autres externalités (comme évoqué plus haut).
Cependant le score environnemental reste insuffisant pour encourager la production de petits véhicules sobres (T&E recommande notamment d'instaurer une progressivité de la mesure, qui fonctionne actuellement avec un seuil "couperet"). Les VELI proposent une opportunité supplémentaire pour réduire encore le poids des véhicules, donc leur coût écologique. En effet, les VELI pèsent en général moins de 450 kg, soit nettement moins que les voitures visées par le leasing social (moins de 600 kg pour les véhicules professionnels). Plus petits, ils requièrent moins de matériaux et de ressources à la production, et prennent moins de place sur les voies. Plus légers, ils consomment moins d'électricité pour circuler (aujourd'hui, la majorité du carburant consommé par une voiture est utilisé pour propulser le poids de la voiture elle-même), et polluent moins par abrasion. Au total, ces véhicules électriques individuels, qui transportent jusqu'à 4 personnes, pourraient bien démontrer un bilan environnemental (énergie, matière, émissions de GES) plus proche du transport public ou du vélo que de la voiture individuelle.
Au-delà de leurs avantages écologiques et économiques, les VELI répondent à des usages précis qui ne nécessitent pas l'utilisation d'une voiture individuelle.
Le leasing social propose un débouché industriel à la filière automobile. Cependant, la production de automobile électrique reste moins intense en main-d'oeuvre que l'automobile thermique : la production de véhicules électriques représente environ 30% de la main-d'oeuvre nécessaire au thermique, comme l'explique le Shift Project dans son (p. 84) : "l’électrification du secteur [...] réduit l’intensité en main- d’œuvre de la fabrication [d'automobiles] de plus de 20 % hors batteries, et l’intensité de la réparation-entretien de près de 60 %."
La réparation et le recyclage des véhicules électriques est une manière de développer davantage d'emplois, comme l'illustre le projet de redéploiement de l'usine Renault de Flins en usine "d'économie circulaire" (elle occupera néanmoins à terme 3000 emplois au lieu de 7000 dans les années 1990).
Le développement d'une nouvelle filière française de VELI (déjà en cours avec le financement de 15 millions € par France Relance à l'ADEME), parallèle mais en lien avec l'industrie automobile actuelle, représenterait alors un bénéfice économique considérable. Cela ouvrirait alors un nouveau vivier d'emplois.
En matière de souveraineté, cela éviterait que la demande en VELI soit satisfaite par l'offre chinoise, actuellement première productrice de VELI.
Il est difficile pour les collectivités locales de soutenir financièrement l'acquisition de voitures électriques, en raison des montants importants mobilisés (il n'est pas possible d'en faire bénéficier une part importante de la population), mais surtout parce que cela contredit les politiques et les investissements mis en place en faveur des transports publics, des mobilités actives et partagées, du partage de l'espace public entre différents usages (pas uniquement pour les transports). Elles ont bien conscience, toutefois, que les solutions actuelles de transport public et de mobilités actives, ne répondent pas, et ne répondront pas en 2030 aux besoins de l'ensemble de la population. C'est pourquoi plusieurs collectivités ont exprimé auprès de nous un fort intérêt pour les véhicules électriques légers, qu'elles pourraient contribuer activement à financer et/ou déployer.
Outre des collectivités locales en milieu rural qui expérimentent dès 2023 une variété de véhicules légers électriques avec des habitants, les métropoles sont demandeuses de solutions basées sur des véhicules individuels plus petits que les voitures, plus légers, plus sobres, qui consomment moins d'espaces publics. Dans le cadre de notre étude sur le déploiement des ZFE saines et justes, et les travaux ultérieurs de concertation, les mesures sur le déploiement de véhicules électriques légers ont reçu un fort soutien de tous les acteurs, en particulier des collectivités comme le Grand Paris, Montpellier, Caen, La Rochelle, Rouen.
Lors de notre dépôt de programme CEE "1001 VELI", les métropoles Grand Lyon et Strasbourg ont apporté un soutien formel en vue de déployer et co-financer des véhicules de ce type, pour des offres de leasing social ou de mise à disposition du grand public concernés par la mise en oeuvre de la ZFE.
Déjà utilisés massivement en Asie, les VELI se structurent en France. La France bénéficie de plusieurs atouts industriels pour développer des VELI :
Un programme CEE tel que "1001 VELI" permettrait de déployer, d'ici 2027, 5 000 véhicules électriques légers, dans des modalités proches de l'offre de leasing social sur les voitures électriques.
Le financement partagé entre CEE, collectivités locales et bénéficiaires, conduirait à un dispositif lisible et significatif à l'échelle des 5 territoires ZFE, complémentaire de l'offre de leasing social. Le reste à charge pour les usagers serait au maximum de 80€/mois (qui peut inclure l'assurance).
Ainsi, sans engager de budgets publics additionnels sur la période, l'Etat pourrait compléter sa politique d'accompagnement des ZFE, avec la possibilité d'ici 2027 d'accélérer et amplifier le programme de leasing social, qui pourrait s'appuyer sur deux jambes :
La Fabrique des Mobilités est une association créée en 2017, à partir d'une coopération initiée en 2015 par des collectivités locales, des industriels, des startups, des centres de recherche et l'ADEME, en vue de créer de développer, par la coopération, les services, les véhicules et les politiques publiques nécessaires à la décarbonation des mobilités.
1001 VELI a été présenté à l'Appel à Programmes 2023 de la DGEC par la Fabrique des Mobilités, en partenariat avec Incub'Ethic. En cas d'obtention du financement, il permettra de mettre à disposition des territoires ZFE partenaires 1000 véhicules légers électriques dans les meilleures conditions (offres clé en main, maintenance, gestion des risques, appel d'offres ouvert à tous les industriels), dès 2025. Il prévoit aussi le financement de 4000 véhicules additionnels pour les particuliers et les collectivités des ZFE considérées.
L'approche de la FabMob garantit une équité de traitement pour les industriels de la filière française, une documentation importante pour faire monter en compétence tous les acteurs publics et privés, et un accompagnement des collectivités locales partenaires au plus proche de leurs besoins.
Citroën ë-C3 : 1400 kg, 27 000 € max
Fiat 500 e : 1365 kg, entre 30 400 € et 41 900 €
Twingo e-tech : 1168 kg, 28 000 € max
future R5 de Renault : 1500 kg, <30 000 €