
Par Gabriel Plassaten August 2016 - contribuer
Benoit Colin nous livre son regard depuis les USA sur les évolutions en cours. Il vient de créer Fullspire.
bonjour Benoit, peux tu nous décrire ton parcours en France puis aux Etats-Unis ?
Les villes et le secteur des transports vivent actuellement une transformation à une échelle et vitesse sans précédent. Cela ouvre la porte à de nouvelles opportunités, mais aussi le risque de créer une fracture sociale urbaine. Je connecte idées, initiatives, et personnes dans ce domaine. Mon tout dernier projet a connecté une start-up, une grande organisation internationale, et une ville autour d’un système d’alerte d’urgence pour les équipes municipales.
Qu’est-ce qui te motive sur ces sujets ?
Je travaille avec start-ups, grands groupes, et acteurs gouvernementaux des deux côtés de l’Atlantique pour maximiser les profits — sociaux, environnementaux, économiques — de cette transformation urbaine. On peut avoir une meilleure qualité de vie et faire avancer le leadership français, et américain.
Ces 4 dernières années, j’ai favorisé la diffusion de pratiques de mobilité douce pour le World Resources Institute (WRI), le centre de recherche leader en politiques environnementales, basé à Washington et qui opère dans plus de 40 villes du Brésil, Chine, Inde, Mexico, Turquie et des Etats-Unis, et se positionne comme conseiller pour les grands acteurs industriels et gouvernementaux.
Auparavant, j’ai mené la charge pour le déploiement de l’électrification des transports pour le groupement des industriels du véhicule électrique aux Amériques. Nous avons accéléré les politiques d’innovation et de soutien à l’industrie du V.E., créant un terreau fertile au déploiement des Tesla Model S, Chevrolet Volt, Nissan LEAF au moment où le gouvernement américain déployait un vaste plan pour la croissance de l’industrie automobile et des batteries.
J’opère dans cet écosystème urbain et transport, et me suis formé aux techniques Google de Design Sprint et IDEO de Innovation Design et travaille avec des leaders en Silicon Valley, sur la scène technologique de Washington, la DC Tech, et puis avec la French Tech — et suis de près les travaux des universités américaines (MIT, Harvard, Michigan).
Venant du secteur automobile et technologique français (Citroën, Renault, Safran) où j’ai eu la chance de travailler proche des clients, du design produit, et des équipes innovation.
Quels sont les principaux sujets qui t'occupent actuellement ? quels acteurs te semblent particulièrement actifs aux Etats-Unis, en Europe et en Chine ?
Je travaille avec des partenaires qui veulent une réinvention urbaine par la mobilité (connectée, électrique et autonome) et par l’application de technologies au service de l’humain. Les acteurs américains les plus actifs sont Alphabet, General Motors, et Uber. Alphabet — la maison mère de Google - combine de multiple initiatives, en particulier : le projet Google self-driving car, l’application Google Waze, et Side Walk Labs.
Google Self-Driving car, le projet de véhicule autonome, a déjà parcouru plus de 2,25 millions de kilomètres sur route en auto-pilote, et simule chaque jour 4,82 millions de kilomètres. Des tests sont annoncés ou déjà en cours sur route libre en Californie, au Nevada, en Arizona, et puis un centre de test va ouvrir dans l’Etat du Michigan en partenariat avec Fiat-Chrysler.
L’application Waze — une acquisition de Google — vient de lancer un test pour Waze Pool, une solution qui ouvre le co-voiturage aux personnes habitants la région de San Francisco. Waze Pool offre une alternative aux solutions de pooling de Uber ou Lyft.
Side Walk Labs, cette fois sur la côte Est, expérimente avec des solutions pour la ville connectée, dans l’univers de l’Internet-of-Things (les objets connectés), avec actuellement deux projets : la transformation d’anciens kiosques téléphoniques en terminaux d’accès au numérique, Link NYC, pour réduire la fracture numérique urbaine, et puis une plate-forme numérique pour améliorer l’utilisation des capacités routières, de parking, et de transports publiques, Flow.
Comment vois tu l'évolution des marchés de la mobilité avec le développement des services de mobilité "on-demand" ? quels sont les risques ?
Le développement de solutions comme Uber qui sont très pratiques et efficaces se fait de façon très rapide, sans que les législateurs n’ai pris conscience des implications au-delà des discussions par exemples sur les licences de taxi. Les implications de la croissance de Uber sont beaucoup plus grandes, et nous ne prenons même pas encore toute la dimension de ce changement. Le marché de l’emploi est affecté, avec une _gig econom_y qui risque de voir les travailleurs surexploités et sous-payés.
Le secteur immobilier peut voir de grands changements dans les valeurs des maisons et appartements, ceux qui sont loin des réseaux de transport peuvent maintenant être plus facilement accessibles par le transport à la demande et ainsi mieux valorisés.
La société peut voir se créer une division entre riches et pauvres, les uns ayant accès à une offre de mobilité toujours plus riche et efficace, les autres devant faire face à une réduction des investissements dans le transport, une baisse de la qualité de service et une hausse du coût à l’utilisateur.
Au-delà, lorsque les véhicules qui opèrent sur la plateforme Uber seront automatisés on pourra assister à une révolution dans la chaîne logistique, les schémas de trajet domicile-travail, le rapport même au travail et à l’espace physique. L’automatisation du transport va révolutionner le rapport au temps et à l’espace. Rien qu’aux Etats-Unis, le phénomène de destruction créatrice lié à la mobilité autonome détruira plus de 10 millions d’emplois, mais avec le potentiel d’en générer de nouveaux dans des secteurs en pleine émergence.
Une combinaison de politiques publiques et d’innovation technologique construite de façon collaborative, en utilisant le meilleur des méthodes modernes — design thinking, économie collaborative, économie circulaire, open source et open data — peut assurer que nous développions un modèle plus équitable, qui à terme sera en fait générateur de plus de bénéfices (sociaux, environnementaux, économiques) pour tous, c’est là tout le sens de ma démarche.
De ton point de vue, la voiture autonome et plus généralement les transports robotisés, c'est pour quand ?
La plupart des acteurs se refusent à le croire, mais les véhicules automatisés sont déjà là. Transdev opère des navettes autonomes sur le site de la centrale nucléaire EDF de Civaux (Vienne), et a signé un contrat pour le faire sur le terrain d’autres centrales. Uber teste des voitures autonomes à Pittsburgh en Pennsylvanie avec un opérateur assis au volant et qui peut reprendre le contrôle. Google fait conduire ses voitures en espace urbain — le plus difficile — en mode autonome depuis des mois, et vient de lancer un programme de test en Arizona et recrute des opérateurs. La bascule vers un univers du véhicule autonome et connecté est enclenchée. Certains seront surpris par leur arrivée rapide, on devrait en voir sur nos routes d’ici à 2020, d’autres seront déçus de voir qu’il faudra attendre 15 ans pour que la technologie soit disponible sur toute la gamme des constructeurs automobiles (2030), et 15 ans de plus (2045) pour remplacer 95% de la flotte de véhicules.
Le point clé c’est que les véhicules sont déjà là et que l’impact de leur arrivée sera très profond, et qu’il faut saisir cette opportunité, maximiser les bénéfices et réduire les risques, dès maintenant. 2016 c’est un bon moment pour agir, n’est-ce pas ?
Quels seraient tes conseils pour que l'Europe reste dans la course ?
Il faut un électrochoc. L’Europe a les compétences, mais aujourd’hui nous n’appliquons pas les méthodes de travail du 21ème siècle à cette opportunité. Bien des acteurs en Europe pensent encore que l’on peut inventer la mobilité du 21ème siècle en apportant le secteur du numérique au sein du secteur automobile et transport. Mais en fait c’est tout l’inverse, il faut réinventer la chaîne de valeur, et créer des plateformes qui délivrent cette valeur au client.
Alphabet l’a très bien compris, et pour gagner du temps de visibilité avec ses clients est en passe de résoudre l’equation de la voiture autonome — qui n’est pas son core business. Il faut réinventer ce que l’on vend au client, et imaginer la plateforme qui le commercialise. Les solutions industrielles ne viendront qu’ensuite en soutien à l’offre client.
Sur le plan des schémas de pensée, la solution se trouve dans la collaboration, la veille industrielle intense, et de nouvelles méthodes de création de solutions inspirées par la Silicon Valley. J’espère pouvoir apporter cette expertise et contribuer à des solutions s’appuyant sur la diversité de compétences en recherche, innovation, et législation présentes en France, en Europe, et aux Etats-Unis. La Fabrique des Mobilités est une excellente initiative qui peut fournir l'environnement initial à un programme américano-européen ambitieux.
Ce n’est que le début. Et si on en parlait ensemble ? benoit@fullSPIRE.com / @fullSPIRE